« Diable ! » Ne serait-ce pas le bon moment pour attaquer la recherche et l’ESR ? Contextualiser les réformes de notre UFR

« Diable, les statuts ne sont pas des protections, ce sont devenus des éléments de complexité ! Et je vous invite à les changer vous-même ! »

Emmanuel MACRON, 7 décembre 2023

Pour répondre aux « maladies structurelles » du système d’ESR français, Emmanuel Macron propose d’engager différentes réformes de « simplification et de clarification » qui devront être menées sur les « 18 prochains mois », déclare-t-il lors de son discours sur l’avenir de la recherche, le 7 décembre 2023. Dans cette perspective, il veut doter le ministère de l’ESR d’ « une vraie fonction de pilotage et de stratégie ». Il propose aussi aux universités de s’engager dans « l’acte 2 de l’autonomie », ce qui passe par « de vrais contrats pluriannuels et une gouvernance réformée », et une « différenciation assumée ». Il pose également la question des statuts des personnels « devenus des éléments de complexité ». [AEF]

https://www.aefinfo.fr/depeche/704009-emmanuel-macron-veut-engager-un-acte-ii-de-l-autonomie-des-universites-dans-les-18-prochains-mois

(pour voir le CP du Snesup-FSU : https://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/20231208-cp-snesup-comite_presidentiel_de_la_science.pdf)

Le lundi 7 décembre 2023, Emmanuel Macron a dévoilé l’acte 2 de son plan de mise au pas du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un discours prétextant sans vergogne le constat d’une situation qu’il a contribué à accentuer voire à créer sur certains aspects (surcharge administrative, surnombre des appels à projet, difficultés de recrutement…), il somme notre communauté d’utiliser l’esprit de la recherche (sic) pour s’autoréformer librement mais en visant un objectif défini par lui-même. On est « libres d’obéir » en choisissant la voie mais le but est clair : travailler le plus rapidement possible sur l’intelligence artificielle, l’aérospatiale, l’énergie decarbonée… Nous faire faire la sale besogne : quel sommet d’efficacité technocratique et de cynisme ! Les LSHS, quant à elles, doivent se mobiliser pour expliquer les changements qui sont devant nous. 

Emmanuel Macron s’appuie, pour avancer son argumentation, sur des affirmations de café du commerce. Il en va ainsi (ornementée d’une référence à « l’étrange défaite », pauvre Marc Bloch, être mêlé à pareille rhétorique…) de la course au vaccin anti-covid. Etrange défaite qui a bon dos, puisque le président Macron lui attribue précisément les causes inverses de celles qui ont conduit à cet échec (et propose comme solution de renforcer les causes de l’échec lui-même). Ainsi, pour Bruno Canard (lauréat du Grand Prix scientifique 2022 de la Fondation Simone et Cino Del Duca), c’est précisément une recherche soumise à des injonctions de calendriers courts, de mise en concurrence, de soumission au privé, qui a conduit à cette situation d’échec :

« A-t-on raté, en France, le virage de l’ARN Messager ? « La recherche a commencé il y a 35 ans à Boston, pour les obtenir, dans un tube à essais, et pour développer des systèmes de façon industrielles. Il s’agit du travail de gens persistants, une recherche fondamentale sur le long cours. En France, on n’a pas pris ce chemin-là. » […] a recherche active n’est pas soutenue en France, alors que Sanofi a reçu beaucoup d’argent, de tout le monde, notamment des impôts, qui n’a pas été investi la recherche fondamentale, mais allé dans les poches des grandes entreprises. L’argent public n’est pas assez contrôlé sur la recherche, c’est sûr. On a l’impression d’un investissement à perte, qui ressemble à de la subvention indirecte ». En 2020,  » l’argent est revenu dans notre équipe, mais chez des camarades chercheurs sur d’autres virus, ce n’est pas le cas. Et la loi recherche qui vient d’être votée reflète exactement ce qui s’est passé avec Sanofi », estime Bruno Canard (https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-6h20/bruno-canard-la-recherche-active-n-est-pas-assez-soutenue-en-france-8056887)

Du point de vue des objectifs à atteindre, le discours du président Macron est une attaque tous azimuts : plus de ressources mais seulement pour les meilleurs, fermeture des unités qui ne répondent pas aux objectifs d’excellence, accentuation des politiques de différentiation de sites, généralisation des chaires de professeur·es juniors (CPJ) « parce que ça marche », accroissement de l’autonomie des universités et augmentation du volume des COMP, sans préciser d’ailleurs si cela viendra en plus ou en remplacement de la subvention pour charge de service public (SCSP), pilotage de la recherche par le président de la république via les opérateurs de recherche, etc, etc, etc.

Ainsi Emmanuel Macron demande-t-il « que « les universités qui y sont prêtes fassent des propositions audacieuses et permettent de gérer les ressources humaines qu’elles ont sur leur site, avec une vraie logique de délégation de cette fonction » ».

Comble de la perversité, la ministre lui aurait indiqué de ne pas dire qu’il faut changer les statuts alors il dit, taquin et déplacé, « je ne dis pas que je vais changer les statuts mais je vous dis faites le vous-mêmes ! » sous les rires complices des 300 invités. La diversité des statuts est pourtant une source de souplesse et de complémentarité. Elle est, aussi, non pas la garantie du travail d’individus sous-talentueux.

Rappelons aussi, de surcroît, que l’une des conséquences de cette autonomie des « équipes », en temps de pénurie pour recruter des ATERS et en phase avec l’instauration des COMP finira par l’équation suivante (que nous commençons tous et toutes déjà à connaître) :

Imaginons que 2 EC d’une équipe de formation de 5 personnes obtiennent l’un un CRCT, l’autre une décharge pour une charge collective importante. Forcément, cela déséquilibre les engagements du contrat d’objectif et de moyen pluriannuel…La LPR annonçait la couleur et sa solution pour nous « auto-réguler » en temps de pénurie  :

  1. x et y prennent leur congé et leur décharge, car v et w acceptent de prendre leurs heures (et cela fait beaucoup d’heures) 
  2. x renonce à son congé ou y renonce à sa décharge (et éventuellement la touche en prime) ; voire les deux ; peut-être même l’équipe de formation le leur impose, ou la direction de l’UFR
  3. l’équipe de formation réduit son offre de formation (supprime des UE, dans des offres de formation déjà bien réduites).

Et tout ça en 18 mois ! 

Ce discours, qui met en lumière à quel point le président ignore ce qu’est la recherche – la confondant sans cesse avec l’innovation de rupture – est une réplique violente de la réforme portée par Valérie Pecresse et Nicolas Sarkozy. Exit « la princesse de Cleves », bonjour notre abus de « jardin à la française » ! Et Les présidents d’université (via France universités) applaudissent !

Pour le moins, notre UFR ALLSH, avec les injonctions qu’elle fait peser sur nous avec un autoritarisme redoutable présumant notre capacité d’obéissance (Diable ! ne serait-ce pas le bon moment ?), prend les devants. Avec un zèle qu’il faut bien saluer, la réforme en cours des maquettes est en effet supposée :

  • Diminuer à tel point la part du disciplinaire que des filières entières devraient bientôt se révéler être inutiles voire invisibles ;
  • Nous contraindre à bouleverser par nous-mêmes les statuts (c’est formidable) : des enseignants-chercheurs qui ne pourront plus adosser leur enseignement sur leur recherche (malgré des fiches de poste explicites, pardon, des « entraves » à la liberté des équipes) ; des enseignants qui devront soit prononcer de longs cours magistraux soit multiplier à l’envie des séances de TD devant des effectifs surdimensionnés, et sur des sujets hyper généraux ; des enseignants dont l’offre de formation sera tellement réduite à peau de chagrin qu’ils ne seront plus ni moniteurs ni ATER, statuts pourtant bien nécessaires à la formation des jeunes doctorants ;
  • Nous contraindre à supprimer des postes, autre manière de bouleverser les statuts. En pénurie de postes, mais avec la nécessité de faire face à des effectifs qui peuvent croitre et face à la nécessité, dans notre UFR, de « payer » les enseignements que nos étudiants vont suivre dans les autres départements, il faudra pointer du doigt les décharges et les congés des uns pour proposer aux équipes de formation, afin de tenir les COMP[tes], de se réguler eux-mêmes : renonçons-nous aux décharges et aux congés, imposons-nous une modulation des services à la hausse, taillons-nous encore davantage dans l’offre de formation ?
  • Accentuer la différenciation entre les étudiants, qui se verront engagés à moindres coûts pour l’université dans des maquettes aux articulations pédagogiques incohérentes (4 h de CM hors discipline ici, 1h de CM et 1 h de TD disciplinaire dans le même regroupement là, par exemple), sans progression disciplinaire, sans articulation avec le Master… quand à coup sûr se dessineront des parcours d’excellence ?

Dans son désir d’ultra spécialiser et d’ultra financer les niches d’excellence, le Président Macron validerait-il nos futures Licences ?  Il dénonce en effet joliment « une tendance de jardin à la française et une absence de différenciation des parcours, des universités, des organismes qui fait qu’en période de moyens limités tout le monde [a été touché], parfois sans discernement et entamant la compétitivité des équipes qui étaient les plus soumises à la compétition international ». Bon, serions-nous tellement mauvais qu’en ALLSH nous sommes de ceux qui ont été touchés « avec discernement » ? En tout cas, le gâchis de compétences est énorme, pour une ESR qui prône l’excellence des niches : combien d’enseignants-chercheurs et de jeunes chercheurs se trouvent de facto, dans les maquettes que l’UFR ALLSH est en train de construire, pour l’essentiel écartés de tout enseignement dans leurs champs de compétence ?

Demain, ce sera « la lutte pour la vie ». La concurrence entre collègues sera d’autant plus farouche et destructrice qu’il n’y aura plus de place pour tout le monde même pour ce qui concerne la seule chose qui nous a toujours réunis et qui fait le cœur de notre métier : enseigner, en lien avec notre recherche (car non, le tiret entre enseignant et chercheur ne signifie pas juxtaposition, les statuts servent à quelque chose).

Et puis, demain, dans 18 mois, suite au discours du Président Macron, ce sera quoi ? Ne négligeons pas la capacité d’un établissement expérimental à faire le lit des réformes les plus improbables (pour la plupart d’entre nous, encore confiants et optimistes dans le système de l’ESR).

Le président de l’UGE ( ex-Marne la vallée, dont la section Snesup a initié ce communiqué pour lequel nous la remercions), nommé par le président de la république actuel et dont le discours et la ligne idéologique sont alignés avec ceux de l’exécutif depuis 2017, a décidé de sortir de l’expérimentation dans les 18 mois qui viennent (coïncidence ou délit d’initié ?), contre l’avis unanime de toutes les organisations syndicales portant la voix des personnels (CSA du 27 novembre). Il a choisi comme axe thématique de l’établissement « la ville » en assurant que tous les sujets continueront d’être financés (cela sera-t-il encore vrai demain ?). En pleine évaluation HCERES de l’établissement, cette pression venant du plus haut quant à la nécessité de tout changer va mettre encore plus les collègues en difficulté. 

SNESUP AMU ALLSH